Le réalisme classique en Relations Internationales
En Relations Internationales, le réalisme classique apparaît officiellement au lendemain de la seconde Guerre mondiale. Née en opposition à la pensée libérale critiquée pour ne pas avoir su empêcher l’éclatement du second cataclysme mondial, le réalisme classique puise ses origines dans les pensées de certains auteurs dits « pessimistes » tels que Thucydide, Thomas Hobbes ou encore Nicholas Machiavel. Alors que la théorie libérale s’était pendant plus d’une vingtaine d’année évertuée à émettre des prescriptions dans le but d’apaiser les relations interétatiques, notamment par la reconnaissance d’intérêts communs entre Etats, le réalisme classique chercha à analyser les phénomènes internationaux de manière objective, insistant sur la nécessité d’étudier les faits tels qu’ils sont, et non tels qu’ils doivent être.
Bien qu’il fallut du temps au réalisme classique pour s’imposer dans la discipline des Relations Internationales, jusque là dominée par la théorie libérale, certaines œuvres publiées avant la seconde Guerre mondiale ont confirmé l’émergence de ce nouveau paradigme. Des auteurs comme par exemple le géopoliticien Nicholas Spykman, l’historien Edward H. Carr, ou encore le théologien Reinhold Niebuhr font ainsi parties des précurseurs du réalisme classique. Mais c’est finalement le politologue américain Hans Morgenthau, dans son célèbre ouvrage Politics Among Nations : The struggle for Power and Peace publié en 1948, qui en énonça les principaux fondements.
Cette théorie s’étant enrichie depuis, plusieurs postulats partagés par les réalistes classiques, permettent selon eux d’expliquer les mécanismes du système international et de comprendre la politique qui y est menée. Six d’entre eux peuvent ainsi être retenus :
1. Puisqu’il est le seul détenteur du privilège de la souveraineté observable dans le monde, l’Etat est considéré comme le principal acteur des relations internationales. Les organisations internationales émanent directement de la volonté des Etats, celles-ci sont perçues comme secondaires. A ce sujet, la théorie réaliste est souvent dite « stato-centrée ».
2. Les sphères interne et externe des Etats n’étant pas soumises aux mêmes règles de fonctionnement, l’ordre interne régi par le domaine de la loi faisant face au désordre externe dans lequel les Etats peuvent se faire justice eux-même, la politique étrangère (high politics) doit être appréhendée distinctement et comme non tributaire des exigences de la politique intérieure (low politics).
3. Dépourvu de toute autorité supérieure capable d’ordonner les relations entre les différents Etats, le contexte des relations internationales se caractérise par une situation d’anarchie, c’est-à-dire un monde marqué par une lutte incessante pour l’influence et le pouvoir.
4. Dans ce système anarchique, la défense des intérêts nationaux, définis en terme de puissance, devient la clé de compréhension de l’action étatique sur la scène internationale.
5. Les Etats suivant tous le même raisonnement, cette situation peut tendre vers la guerre, qui comme le rappelait le général allemand Karl von Clausewitz, n’est que « la poursuite de la politique par d’autres moyens ». Pour les réalistes, la guerre n’est cependant pas une fin en soi. Elle est un outil à la disposition du décideur politique dans l’atteinte de ces objectifs.
6. Dans ce contexte, seul l’équilibre des puissances ou balance of power, c’est à dire un jeu d’influence réciproque entre les différents acteurs (Etats ou alliances d’Etats), permet de maintenir le statu quo et d’éviter la survenance de conflits éventuels. Si un tel équilibre ne permet pas d’instaurer une paix durable, il assure néanmoins une stabilité supérieure du système international.
C’est donc sur une conception relativement cynique des relations internationales que le réalisme classique fait reposer l’ensemble de sa pensée, la recherche de la puissance étant considérée comme l’élément central dans la compréhension des phénomènes internationaux. Cet aspect lui valut d’être associé aux notions de Realpolitik et de « raison d’Etat » qui correspondent à une vision de la politique étrangère fondée sur un calcul rationnel dans la défense de l’intérêt national, plutôt que sur des considérations d’ordre éthique ou moral.
Paradigme dominant jusque dans les années 1970, le réalisme classique déclina peu à peu en raison de l’apparition de nouvelles théories, notamment marxistes, libérales et plus tard constructivistes. Mais c’est surtout la rupture ontologique créée par l’émergence du néoréalisme de Kenneth Waltz, qui mit définitivement fin à sa prédominance. Malgré cela, les hypothèses émises par le réalisme classique marquèrent d’une profonde emprunte la discipline des Relations Internationales, et il est encore aujourd’hui aisé de distinguer son influence dans les commentaires de nombreux internationalistes.
De plus, au-delà des instances universitaires, le réalisme classique inspira plusieurs hommes politiques dans l’exercice de leur fonction. C’est le cas par exemple de George Kennan, célèbre pour avoir énoncé la doctrine américaine de containment (« endiguement ») à l’égard du bloc communiste dans les premières années de la guerre froide, mais aussi d’Henry Kissinger, secrétaire d’Etat américain sous la présidence de Richard Nixon entre 1973 et 1977, connu pour son rôle dans le rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine à partir de 1971, et son goût pour la diplomatie secrète.